Le travail multiple de Tris Vonna Michell (1982, UK) inclut une série de performances qui fonctionnent comme autant de chapitres, de mises en scène non-linéaires d’une histoire puisant aux sources anciennes du storytelling. Incarnées au sein d’installations créées par ses soins, elles se développent, se mêlent et s’entrecroisent, associant projections, textes et objets à la manière d’accessoires de théâtre. Lors de ces actions, le public est physiquement et mentalement impliqué dans une relation avec le corps, la parole de l’artiste qui le guident dans un voyage oral, récit incarné aux frontières de la réalité et de la fiction.
Son phrasé rapide combine et intervertit les mots et les phrases pour faire perdre ses repères au spectateur, aux lisières de l’abstraction. Son usage du son produit une relation complexe entre parole et langage, ordre et chaos, illusion et désillusion, comme une manière de structurer continûment l’œuvre à partir de ces improvisation contrôlées à partir d’un script initial, de cette spontanéité, cette magie toujours préservée comme le véritable cœur de l’action. A la manière d’un conteur, il travaille ainsi sous l’influence des conditions dans lequelles la performance est donnée, faisant émerger sans cesse de nouvelles histoires, de nouvelles images et de nouvelles associations. Ses expérimentations vocales ont alors tout autant à voir avec la langue inventée de Kurt Schwitters, les spoken words d’Allen Ginsberg et de William S. Burroughs que les mises en scènes des MCs de la culture Hip Hop.
La nostalgie à l’œuvre dans la pratique de Tris Vonna Michell est liée à la disparition contemporaine de la figure même du conteur narrant par la tradition orale un répertoire d’histoires partagé. Dans un texte récent (voir The Flesh n°2), Caroline Soyez-Petithomme travaille à partir d’entretiens glanés avec l’artiste, qui exprime clairement ce rapport singulier à un passé perdu : « La figure du conteur est un archaïsme, un type social qui, du fait des transformations technologiques, a perdu sa fonction d’alphabétisation. Elle a été reléguée aux marges de la modernité, où elle survit comme une relique de l’imagination, comme un archétype nostalgique, un spécimen anthropologique, en apparence mort ».
Or, comme le rappelle l’auteur, TVM est originaire de Rochford dans l’Essex, au sud du Royaume-Uni, région qui accueille chaque année des festivals de storytelling, tradition populaire impliquant une relation directeme avec les écoles et autres espaces publics. Par ailleurs, TVM associe cette histoire à une autre, plus personnelle, qui lie son père, Erik, poète sonore, à l’artiste Henri Chopin : « Erik est mon père, il avait une collection importante d’enregistrements audio et de disques, et il expérimentait dans le domaine de la composition sonore ou expérimentale avant ma naissance. Je voulais boucler la boucle de ce projet particulier, lequel a dérivé de chapitre en chapitre/ou d’une œuvre à l’autre sur une période de trois ans : Finding Chopin : In Search of Holy Quail, Down the Rabbit-Hole, Act 7 : The Trial. Ces trois œuvres ont toutes été développées à partir d’enregistrements indéfinissables et de compositions que mon père a créés. J’étais conscient de cela, mais je voulais créer une stratégie parallèle d’enquête autobiographique. Je lui ai demandé de sélectionner une œuvre de ses archives, qui pouvait avoir une relation avec ma poursuite. Coïncidence ou pas, il a choisi cette pièce qui date de mon année de naissance ».
A l’occasion d’une exposition au centre d’art Witte de With à Rotterdam, l’artiste nomade TVM met au jour dans son travail les recherches qui l’ont a mené entre autres à England’s Lake District, région ou vécurent tous deux Schwitters et Chopin. En résulte une série de performances et une édition sous la forme d’un disque vinyle, magnifiquement intitulé Tall Tales and Short Stories.
Tris Vonna Michell Tall Tales and Short Stories
Henri Chopin La civilisation du papier
Magazine The Flesh